Confinement #7 - Liberté, solidarité, soutenabilité
Ca y est, le jour tant attendu du déconfinement est arrivé !
Pour la plupart finies les attestations à chaque sortie, les querelles pour savoir qui aura le droit d’aller faire les courses cette semaine. Bref, de quoi se réjouir ! Enfin presque …
12 mars 2020. Emmanuel Macron déclare “Mes chers compatriotes, il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s'est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties. (...) Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai.”
Dix jours plus tard, le dimanche 22 mars, l’amendement destiné à intégrer au projet de loi permettant l’instauration d’un état d’urgence sanitaire, un “Grand plan de relance et de transformation de notre société en faveur du climat, de la biodiversité et de la justice sociale”, proposé par 35 députés de tous bords, est finalement rejeté.
A priori, interroger le modèle de développement dans lequel est notre monde, c’est pas pour tout de suite. Ce qui n’empêche pas certains politiques, comme le député Matthieu Orphelin, sur son compte Twitter de «continu[er], en transpartisan, à tenter de convaincre le gouvernement que les acteurs & citoyens sont prêts à préparer une grande transformation de notre société ». Nous l’avions d’ailleurs reçu fin avril dans notre émission live “Dessine moi un monde nouveau” sur le thème “Repense ta relance!“.
Cette semaine, on s’intéresse aux liens entre justice sociale et écologie dans cette newsletter et dans notre live hebdo “Dessine moi un monde nouveau” avec Lise d'On Est Prêt qui animera les échanges entre :
- Priscillia Ludosky, militante et autrice de la pétition à l’origine du mouvement des gilets jaunes
- Lucie Lucas, comédienne engagée
- Yolande, citoyenne tirée au sort de la Convention Citoyenne pour le Climat
Même si nous sommes déconfiné.e.s, gardez vos bonnes habitudes, rendez-vous à 18h30 sur la page facebook de On Est Prêt !
“Je n'ai jamais séparé la République des idées de justice sociale, sans laquelle elle n'est qu'un mot.”
Jean Jaurès
La justice sociale, c’est quoi ?
Pas de Bac cette année, ne vous inquiétez pas, on va pas se lancer dans un cours de SES interminable ! En revanche, commencer par une petite explication permet toujours de mieux comprendre ce concept quelque peu subjectif, et pour celles et ceux qui vont reprendre les cours, de faire une petite piqûre de rappel ;)
Le concept de justice sociale est apparu au milieu du XIXe siècle afin d'aboutir à une répartition équitable des biens sociaux et d'offrir aux différentes classes sociales des opportunités de développement. Jusque là sur le principe c’est plutôt logique et on peut difficilement s’y opposer.
C’est donc un principe politique et moral qui a pour objectif une égalité des droits et une solidarité collective permettant une distribution juste et équitable des richesses, qu'elles soient matérielles ou symboliques, entre les différents membres de la société. En d’autres termes, de bénéficier sans discrimination du progrès économique et social partout dans le monde. Promouvoir la justice sociale ne consiste pas simplement à augmenter les revenus et à créer des emplois. C’est aussi une question de droits, de dignité et de liberté d’expression pour les travailleurs et les travailleuses, ainsi que d’autonomie économique, sociale et politique. À noter que les inégalités sociales dans le monde occidental ont augmenté de manière significative depuis les années 80.
L’OIT (l’Organisation Internationale du Travail) a par exemple dans sa Déclaration de 2008 établi un nouveau fondement essentiel pour les efforts en vue de promouvoir et réaliser la justice sociale grâce à l’Agenda pour le travail décent et ses quatre piliers – emploi, protection sociale, dialogue social, et droits et principes fondamentaux au travail.
Sur le papier comme souvent ça semble plutôt simple et cohérent, mais dans la réalité c’est un peu plus compliqué et surtout certain.e.s se demandent quel est le lien entre justice sociale et écologie. Revenons donc aux évènements récents, qui ont eu lieu dans notre pays.
Le confinement et ses multiples facettes
On vous l’a déjà partagé sur nos réseaux sociaux, mais on tenait à garder une trace de cet appel, fort, prenant et terriblement vrai. Le comédien Vincent Lindon a confié à Mediapart une longue réflexion, lue face caméra chez lui, sur ce que la pandémie révèle du pays qui est le nôtre, la France, sixième puissance mondiale empêtrée dans le dénuement (sanitaire), puis le mensonge (gouvernemental) et désormais la colère (citoyenne). Un texte puissamment politique, avec un objectif : ne pas en rester là. "Des offrandes pour ceux qui n'ont besoin de rien des sacrifices pour ceux qui ont besoin de tout" cette phrase résume si bien l’idée de cette newsletter, les plus fragiles ont vécu et continueront de vivre des jours difficiles, alors mobilisons-nous.
On vous en a déjà parlé dans une précédente newsletter, le confinement a rendu visible ce qu’on ne voyait pas, ou plus. Le confinement a été une double peine pour beaucoup et un accélérateur de violences, pour diverses raisons. On ne peut revenir sur toutes, mais nous voulions mettre en lumière la difficulté des associations à agir durant cette période, sur l’augmentation des violences domestiques ainsi que celle des violences policières.
Voici des vidéos et des articles qui vous permettent de revenir sur certaines réalités du confinement, et surtout de mettre en lumière des problématiques dont nous devons parler et sur lesquelles nous devons et pouvons agir.
Augmentation des violences conjugales pendant le confinement : "On n’a pas le droit de sortir mais on peut fuir", explique une infirmière à France Info dans cet article. Depuis le début du confinement, les violences conjugales ont augmenté en France. Patricia Vasseur, infirmière puéricultrice aux urgences médico-judiciaires de l’Hôtel-Dieu à Paris, analyse la situation et rappelle l'importance pour les victimes de pouvoir signaler ces violences.
Comment le confinement attise les violences urbaines ? Plusieurs quartiers populaires ont été le théâtre d'incidents ces derniers jours. Une situation qui s'explique par la promiscuité dans les logements, une économie à terre et des rapports déjà compliqués avec la police. Retour en images avec cette vidéo de AJ+ France et avec cet article de France Info.
On vous invite à retourner (on vous en parlait dans cette première newsletter) sur le compte instagram du projet “les invisibles” de Caroline Delboy, la série documentaire qui donne la parole aux travailleur.s.es qui s'exposent pendant le confinement.
Enfin, pour aller au delà de nos frontières, on laisse l'économiste Thomas Piketty revenir sur la lutte contre la pandémie de Covid-19 et sur la stratégie française pour sortir du confinement, présentée mardi 28 avril 2020 par le Premier ministre, Édouard Philippe. Selon lui, "la vraie urgence", c’est de faire face aux "inégalités extrêmement fortes" face à la crise épidémique que ce soit en France ou à l’étranger.
“Je pense que cette crise doit être une occasion pour les pays du sud, en Afrique, en Inde, de développer un système de minima social, de revenu minimum de façon accélérée si nécessaire. Il y a des limites aux systèmes qui sont mis en place dans les pays riches, mais évidemment dans les pays les plus pauvres la situation est plus grave encore”.
Voici deux tribunes en lien avec cette vidéo:
- «L’après-Covid-19 pourrait-il être enfin l’ère de la justice fiscale et sociale dans le monde ?» La docteure en droit Sophie Lemaître rappelle que les revenus perdus à cause de l’évasion fiscale sont supérieurs aux dépenses de santé des gouvernements.
- Coronavirus : « Il est temps de rebâtir un contrat social et fiscal plus juste », tribune collective de sept universitaires, dont Thomas Piketty, Anne-Laure Delatte et Antoine Vauchez, appellent à augmenter les impôts des plus riches pour financer la riposte à la crise sanitaire.
Les inégalités sociales de la crise épidémique, une mise en abîme face à celles qui se dessinent concernant la crise climatique ? Agir par la solidarité et la justice sociale
« Nous devons parler rupture et radicalité, dans ce qu’elles ont de positif»
Matthieu Orphelin, 25 mars 2020 pour Reporterre
Ce confinement nous a démontré qu’il est possible de réduire les émissions de gaz à effet de serre dès lors que l’on réduit les productions et les transports, mais aussi que l’on apprend à vivre à rebours de toutes les exigences de compétitivité et de concurrence qui nous ont été assénées depuis des dizaines d’années. On vous en a longuement parlé dans ces deux newsletters : Confinement #5 - “Quand en France, relance sonne avec dissonance”. Cette période a bouleversé les rapports de force et révélé l’utilité sociale de chacun : notre (sur)vie dépend bien davantage d’une infirmière ou d’une caissière que d’un trader comme l’explique cet article très pertinent du Monde. Plus que jamais, il est temps de rebâtir un contrat social et fiscal plus juste. Redéfinir nos priorités, c’est ce que nous invitent à faire de multiples appels et initiatives qui fleurissent depuis plusieurs semaines un peu partout dans le monde et en France, on vous en résume quelques unes ici !
Appel des soignants : la plus grande menace sur notre santé est le réchauffement climatique
“La dégradation des conditions de vie sur Terre, à cause de la pollution et du réchauffement climatique, aura des conséquences délétères sur la santé, expliquent les autrices et auteurs de cette tribune. En tant que soignantes et soignants, ils soutiennent le plan de sortie de crise proposée par la Convention citoyenne pour climat.”
On vous en parlait en détail la semaine dernière, les appels au soutien des travaux des 150 citoyen.ne.s tiré.e.s au sort se multiplient, et les soignant.e.s ne font pas exception.
D’ailleurs Priscillia Ludosky (vous ferez le lien si vous avez bien suivi nos newsletter) a lancé une nouvelle pétition “Après covid-19 : stop aux inégalités sociales”. L’objectif cette-fois ci n’est pas tellement de dénoncer la politique du gouvernement mais plutôt d’imaginer des pistes de réflexion. L’objectif des 35 000 signatures est presque atteint, ajoutez-y la vôtre !
Nicolas Hulot appelle chacune et chacun à changer d’état d’esprit, à partager un horizon commun, en lançant 100 principes déclinés autour de l’accroche “Le Temps est venu” ; matrice pour réussir l’avenir. Avec une ambition folle : faire de cette crise sanitaire une crise salutaire.
“Le temps est venu de dresser un horizon commun”, “le temps est venu de redonner du sens au progrès”... Nicolas Hulot a décliné 100 principes autour de “Le temps est venu de”. Une manière d’alerter sur le fait que si nous ne tirons pas les enseignements de cette crise, si nous ne décidons pas de regarder dans la même direction : transition écologique, justice sociale et prospérité économique ne resteront que des voeux pieux. Au-delà, #LeTempsEstVenu souhaite offrir à une pensée majoritaire dans le pays, mais minoritaire au cœur des instances du pouvoir, l’instrument pour se reconnaître, se rassembler dans toutes sa force et ses nuances.
En écho à ces 100 principes et à l’initiative de Juliette Binoche et d’Aurélien Barrau, 200 prix Nobel, scientifiques, personnalités engagées et artistes internationaux #TheTimeHasCome se sont rassemblés pour signer une tribune, parue ce 6 mai 2020 dans Le Monde.
“En décembre 1954, quand l’abbé Pierre a lancé son appel, j’étais en première au lycée à Paris. On était tous allé apporter des chaussettes et des gants. J’avais un copain communiste qui m’a dit qu’il préférait la justice à la charité. Je trouvais la formule formidable : une fois la justice sociale obtenue, plus besoin de charité. Ça m’a beaucoup idéologisé.”
Entretien, Le Soir le 19/09/2015 par Maxime Biermé de Pierre Bénichou
Cette crise peut conduire à des dérives autoritaires des États et/ou inciter les entreprises à accentuer l’exploitation des salarié·e·s, elle peut aussi permettre de forger de nouvelles pratiques sociales, à des organisations collectives pour transformer nos façons de consommer, pour enclencher une relocalisation de nos activités… Promis, on commence à vous en parler plus en détails dès la semaine prochaine !
“Fin du monde, fin du mois, même combat” et au delà
“L'injustice environnementale va de pair avec l'injustice sociale.”
Ma république (1999) de Noël Mamère
On le répète d’autant plus depuis le début de ce confinement, ce qu’on appelle généralement la “lutte écolo” c’est la pointe de l’iceberg. On revenait rapidement sur la convergence du mouvement des Gilets Jaunes et du mouvement écolo, dans notre newsletter de la semaine dernière. Cette convergence a officiellement commencé le 16 mars 2019, durant la Marche du siècle, contre la dégradation de l’environnement reflète le désir du peuple de se réapproprier ses droits. Le droit à une planète moins polluée sans pour autant taxer celles et ceux qui ne peuvent se passer de carburant pour se rendre au travail et subvenir à leurs besoins. Le tout est de trouver le juste milieu entre préservation de la planète et amélioration des conditions de vie des plus démunis dont le pouvoir d’achat se retrouve de plus en plus menacé.
La proposition qui est mise en avant et “parle à beaucoup de Gilets Jaunes c’est celle qu’on a portée au immédiatement au début, c’est la baisse des taxes sur les produits de première nécessité, les produits “bio” ou “sains”. Les produits sains ils sont pas forcément certifiés, et les produits à matière recyclée. Consommer correctement, mais avoir les moyens de consommer correctement. Il est là le lien entre le social, le fiscal et l’écologie”.
Breaking news ! Quand la lutte pour le climat rejoint la lutte sociale: Priscilla Ludosky et Marie Toussaint (la fondatrice de Notre Affaire à Tous) sortiront un livre le 28 mai “Ensemble nous demandons justice - pour en finir avec les violences environnementales” chez Massot Editions, promis on vous le rappellera.
“L'oppression d’un peuple ou même d’un simple individu est l'oppression de tous et l’on ne peut violer la liberté d’un seul sans violer la liberté de chacun.”
Mickail Bakhounine
Et justement, le travail de convergence DES luttes est vaste, et de plus en plus entendu chez les militant.e.s, et de manière générale chez les “primos militant.e.s”. Lutter sans dominer est un travail de déconstruction systémique, qui a commencé il y a déjà plusieurs années. Nous y reviendrons plus longuement très bientôt c’est promis, mais nous voulions commencer à vous parler de l’écoféminisme.
En 1974, Françoise d’Eaubonne assurait que « Le rapport de l’homme à la nature est, plus que jamais, celui de l’homme à la femme » dans son livre « Écologie et féminisme », réédité 40 ans plus tard. La notion d'écoféminisme, est expliquée avec « la naissance du patriarcat [qui] apparaît avec la main mise masculine sur la terre, à l’époque de la charrue succédant à la houe, et l’instauration définitive du même patriarcat avec la découverte de la paternité ».
Vous en avez sûrement entendu parler, le mouvement écoféministe revient en force ces derniers mois, et afin de vous aider à comprendre ce concept plus complexe qu’il n’y paraît on vous invite à regarder l’excellente vidéo d’Edeni sur le sujet. “A exploitation à outrance de la terre, on peut lier l’exploitation féminine. c’est l’analyse qu’en font certain.e.s de l’analyse patriarcales et capitalistes, qui visent à exploiter un maximum les ressources pour en tirer profit, peu importe les conséquences.”
« En postulant que la même matrice idéologique a conduit à la domination des hommes sur les femmes et au saccage de la nature, [elle] dénonce non seulement l’organisation sexiste de la société, mais surtout lui impute la responsabilité de la destruction de l’environnement», résume Caroline Goldblum, auteure du récent ouvrage Françoise d’Eaubonne et l’écoféminisme.
On a hâte de revenir sur le sujet, et d’élargir encore notre approche de l’écologie avec vous et de vous faire découvrir d’autres autrices sur le sujet.
En attendant, n’oublions pas que faire face aux catastrophes sanitaires et écologiques ne se fera pas sans votre participation. Alors si vous avez aimé cette newsletter et toutes les précédentes, partagez-les !
Construire de nouveaux récits, de nouveaux imaginaires, c’est justement ce qu’on vous invite à poursuivre à nos côtés la semaine prochaine durant notre émission “Dessine moi un monde nouveau” !
On vous fait aussi part du nouveau projet (beaucoup trop cool) de Datagueule
« Une série documentaire sur les utopies ? Mais vous rêvez ! »
Oui, nous rêvons. Et nous vous invitons à le faire avec nous en cliquant ici !
Leur projet est aussi simple que paradoxal : documenter cette notion d'utopie à travers le monde. Aller à la rencontre de celles et ceux qui pensent et habitent ces utopies, pour voir ce qu’elles racontent, comprendre ce qui les a fait naître, appréhender leurs limites.
A très vite !
L’équipe Citoyens Reporters / On Est Prêt